Lettre ouverte au député Courson, de la 5ème circonscription de la Marne, fossoyeur des retraites

De Courson

 

Le 3 novembre 2010

Ah, Monsieur le député, comme j’ai de l’admiration pour vous ! Ma fréquentation de votre énarque personne en bien des occasions, dans de si nombreux organismes et comités locaux ou de non moins nombreuses manifestations (8 fois en ces 2 mois depuis la rentrée) – au sens large, m’en fournit si souvent l’aliment…

Je vous ai écouté, au cours de tant d’audiences accordées à nous autres manants, bâtir patiemment cet admirable monument de bonne conscience qui vous meut, par delà l’évidente modestie dont vous êtes pétri. Lorsque vous nous faites le bonheur d’une telle rencontre, je peux à nouveau ressentir comme une ferveur – presque religieuse – qui monte en moi en grande pompe.

C’est vrai, dans le tréfonds social où nous nous activons, à nettoyer vos ordures, remplir vos réservoirs, briquer vos escaliers, assembler ces machines «bio»( ?)-technologiques que le monde entier nous jalouse, cultiver blé ou betterave et élever les autruches du Perthois, vendanger chardonnay ou pinot noir meunier, etc., que voyons-nous autour de nous ? Des parasites, Monsieur ! De pauvres hères besogneux comme moi, incapables d’apprécier le privilège qu’ils ont de recevoir les 1100 ou 1300 € par mois « mérités » par leurs infimes besognes ; ou ignorant leur bonheur de pouvoir, à 62 ou 67 ans – la fleur de la jeunesse ! – se rouler dans la paresse, nantis de leurs pensions homéopathiques à 7 ou 900 € par mois, si coûteuses pour l’Etat que vous gérez à la Cour des Vi-comptes si admirablement ! Comme j’ai honte de ne savoir pas vous éviter d’aussi triste spectacle !

Tandis que vous, Monsieur le député d’une abnégation sans faille, vous vous dévouez corps et âme au bien de ce pays, à honorer votre mandat parlementaire et vos – combien déjà ? – 3 ou 4 mandats départementaux, communaux et intercommunaux. Vous n’avez en tête que notre sécurité : celle de notre liberté – «arbeit macht frei» – celle de notre santé par le «travailler plus» – le travail, libre, joyeux et non-faussé par l’infamie syndicaliste, c’est la santé et c’est bien meilleur que tous les succédanés de la chimie pharmaceutique. De même, comme une musique lancinante vous échinez-vous à garantir le périlleux équilibre de nos retraites, ce qui n’est pas possible autrement qu’en les raccourcissant… Quant à notre prospérité nationale, grâce aux efforts inouïs que vous déployez pour retenir tous ces riches dont nous avons tellement besoin, grâce à tous ces menus cadeaux que vous leurs faites en notre nom, ils en oublient leur projet de fuite et nous font heureusement bénéficier du spectacle de leur félicité.

Oh, bien sûr, la sécurité de nos emplois et de nos logements, cela n’est point de votre ressort : aussi comment vous en vouloir si nos efforts à nous sont trop ténus et futiles pour nous les assurer ? Vous ne pouvez pas tout faire, quand même ; vous ne pouvez pas porter sur vos nobles épaules tous les malheurs de la Terre… Et Dieu dans tout çà ?! Chacun sa place, donc…

D’ailleurs, tout ça pour quoi ? Vous n’avez qu’un job précaire – 5 ans de mandat : un CDD. Après quoi, si des électeurs versatiles et ingrats vous congédient, c’est la rue. Enfin, pas vraiment tout de même, puisque vous retrouveriez votre poste de fonctionnaire grand commis de l’Etat à la Cour des Vi-comptes. Bref, la perspective d’une rétribution tout juste à la hauteur de vos mérites – quelques milliers d’€ par mois, multipliés il est vrai jusqu’à 1,4 fois au maximum, si vous exercez plusieurs mandats, à peine trois quarts de fois dix milliers d’€. Et, pour l’avenir, une modeste pension de 1500 € par mois – si j’ai bien suivi – qu’il vous faudra quand même 10 ans de cotisation pour valider, ou 5 ans, mais seulement si vous cotisez double. Laborieusement, elle s’ajoutera, c’est bien le moins, à votre pension de fonctionnaire. Ah oui, vous êtes bien admirable, vraiment – surtout si l’on pense aux conditions pénibles de votre travail, obligé dans des locaux vétustes chargés d’ors et de pourpres, de ratifier des lois que vous avez rapidement parcourues, à peine discutées et évaluées pour leurs conséquences, sous la pression stressante de vos supérieurs hiérarchiques et les huées de la plèbe assommante d’inculture et de mauvaises manières !

Oui, Monsieur le député, vous l’avez compris, je n’envie pas votre sort. Tant de dévouement pour une existence aussi précaire ! Ah vraiment, vous les méritez vos « indemnités ». C’est vous, Monsieur, qui faites les lois de ce pays, et je suis fort aise, à vous entendre, de découvrir que nos législateurs ont le souci de faire correspondre leurs salaires à leurs mérites. Au moins, nous voila en état de vérifier que la justice sociale est en marche, alors que plus de la moitié de la population travailleuse et des retraités de ce pays, sans parler des chômeurs, n’ont pas le quart de cela que vous avez durement arraché… Charité bien ordonnée… vous connaissez la suite.

Comme les niveaux minimum des salaires, pensions et allocations sont du ressort de la loi, je subodore que, dans votre sagesse législative, vous considérez que les smicards, retraités et Rmistes «méritent» bien, eux aussi, ce qu’ils reçoivent. Et comme les taux d’imposition sont aussi du ressort de la loi, j’en déduis que les Bettencourt, les Bouygues et autres, «méritent» de conserver de la richesse que nous produisons, plusieurs centaines ou milliers de fois ce qu’en reçoit le smicard de base. On ne peut dire plus simplement, hors d’un égalitarisme plat, son amour du peuple.

Ah vraiment, que vous exercez un métier précaire ! Sans sécurité d’emploi, vous justifiez absolument le réconfort de vos « indemnités » ! Monsieur le député, vous avez donné un sens plein à vos fonctions en en faisant une profession, à l’instar de nombre de vos semblables. Oserai-je vous suggérer d’élargir le principe de l’égalité devant la loi en vous vous empressant d’en voter une qui contraigne les employeurs à rémunérer à double salaire tous les contrats précaires – CDD, intérim, et autres sous-statuts, pour des durées contractuelles trop souvent bien inférieures à vos 5 années de législature ? Et tout cela sans perte de cotisations sociales, bien sûr ! Eux aussi, ils sont exposés au risque de se retrouver sans emploi – ni parachute plus ou moins précieusement coloré.

Assurément, Monsieur le député, je le sais parce qu’on nous l’a souvent confié à votre permanence, vous travaillez jusqu’à 60-90 heures/semaine, parfois même en séance de nuit… et vous enfilez les mandats les uns aux autres, ce qui demande un sens inouï de l’organisation… Heureusement que vous n’êtes pas seul dans cette œuvre ! Mais, Monsieur le député, je m’interroge : notre pays se porterait-il plus mal, si au lieu d’être administré par une aussi petite élite de commensaux omniprésents, les fonctions représentatives étaient plus largement réparties entre des citoyens ordinaires et ainsi assumées ?

Admettriez-vous, Monsieur le député, que le niveau de vos rémunérations soit ramené à la condition juste et nécessaire seulement d’attirer à la vie politique – c’est-à-dire au service du peuple – d’autres représentants qu’une poignée de privilégiés n’ayant pas besoin d’y trouver un revenu : vous avez dû entendre, monsieur le député, ces dernières semaines, nos cortèges miséreux mais colorés, parcourus de tant de murmures indignés sur ce que le «bas peuple» nomme vos privilèges. Certes, défrayer nos représentants pour le temps qu’ils passent à œuvrer pour l’intérêt commun est utile – à condition de proscrire l’absentéisme malheureusement si déplorable lors des séances parlementaires offertes par la télévision (LCP, BFM, I-Télé, etc.). Mais est-il besoin d’excéder le niveau d’un honnête salaire moyen ? Accorder des 5000 à 7000 € par mois, n’est-ce pas offrir une prime à la vénalité et une occasion d’enrichissement – modeste peut-être, comparée à la fortune Bettencourt – qui vous écarte irrésistiblement de ceux que vous êtes sensés représenter et à qui vous demandez plus de 85% des efforts ? Faut-il payer grassement les élus pour leur éviter les tentations de la corruption ? Cette objection, souvent entendue, ne trahit-elle pas une bien coupable inclination ?

À votre discours, Monsieur le député, je comprends bien que vous faites partie d’une humanité qui n’est pas la même que la mienne. Il y a d’une part ceux qui vivent dans les salons, et d’autre part il y a ceux qui restent toujours dehors… dans la rue. En effet, monsieur le député, vous n’êtes pas notre représentant ; vous n’êtes pas – comme vous le dîtes – le «représentant de la rue» ! Vous n’êtes que le représentant de nos maîtres, auprès de nous. Vous avez voté le dé-tricotage des retraites par répartition par le traficotage de la retraite par capitalisation. Aux côtés de Nicolas Sarkozy, vous avez œuvré au service de Guillaume Sarkozy et de la finance, pour son Groupe Malakoff-Médéric et d’autres.

Finalement, Monsieur le député, à bien y réfléchir, je ne vous admire plus et je réalise que dans centriste, il y a triste, Monsieur le député.

J’ai bien l’honneur de vous saluer syndicalement, Monsieur le député,

Jean-Jacques POIGNANT

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